Quand Sergyi a rejoint la 79e brigade ukrainienne en mars, sa femme a voulu comprendre où son mari allait combattre : Marïnka, dans le Donbass, dans l’est du pays. Sur les réseaux sociaux, les vidéos montraient une cité anéantie, un paysage de tremblement de terre, un chaos de ruines à perte de vue. Impossible d’imaginer qu’il y ait eu des rues, des maisons, des bacs à fleurs et des écoles. « J’ai dû confondre avec les images d’un film apocalyptique », s’est dit l’épouse.
Mais Sergyi lui a confirmé au téléphone : c’est bien là qu’il venait d’arriver. Il lui a répété les mots d’un instructeur à l’entraînement : en milieu urbain, un militaire dispose de moins d’une minute pour bouger d’une position à l’autre. Au-delà, sa survie est menacée. Dans le combiné, le mari avait glissé qu’à Marïnka, ce compte à rebours était encore plus court. Glacée, sa femme se souvient avoir alors pensé : « Dans quel état va-t-il me revenir, si jamais il revient ? »
Au Donbass, dans une bâtisse à l’arrière des combats, des militaires attendent de prendre la relève. Marïnka, c’est le lieu où la 79e brigade a connu les affrontements les plus sanglants, reconnaît le colonel Yaroslav Tchepournyi, son porte-parole. Pénétrer dans la ville est déjà un « acte héroïque », ils le savent tous. Dans ce bassin minier, la seule route vers le front accessible aux troupes ukrainiennes est surplombée de terrils, ces collines noires formées par les résidus de charbon. Tous sont tenus par l’armée russe, en position dominante.
Impossible, donc, pour la 79e brigade de faire entrer des chars ou même un véhicule. Pour assurer les rotations, les soldats doivent se faufiler de nuit, par petits groupes, et parcourir 4 km à pied avec 45 kg de matériel sur le dos. A la relève précédente, trois militaires sur cinq seulement ont réussi à rejoindre leur position. Blessés, les autres n’ont pu arriver au bout du chemin.
Rien pour se cacher
Aujourd’hui, à mesure que la contre-offensive ukrainienne s’enracine sur le front sud, les combats se durcissent à l’est, particulièrement féroces dans des localités comme Marïnka, où les Russes tentent une percée. L’issue de la guerre, pourtant, ne se joue pas ici, et le colonel Tchepournyi irait même jusqu’à dire que la localité en soi n’est pas de la plus haute importance. « Mais on ne peut pas se permettre de reculer. Dans cette partie du Donbass, si un seul point bouge, c’est toute la ligne de défense qui est déstabilisée. Et la porte s’ouvre pour l’ennemi. » Alors, dans cette cité fantôme, coupée en deux par le front, il faut tenir, coûte que coûte.
Il vous reste 79.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.